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LA NAQLA, ÉTUDE DU CONCEPT DE TRANSFERT DANS L’ŒUVRE D’AL-FĀRĀBĪ

Published online by Cambridge University Press:  05 March 2010

GUILLAUME DE VAULX D’ARCY
Affiliation:
École française internationale, P.O. Box 9982 – Djeddah 21423, Arabie Saoudite Email: g.de.vaulx@gmail.com

Abstract

This article aims at presenting for the first time a central concept in al-Fārābī’s work that constitutes a keystone in understanding his thought, be it in its logical or political aspects. This concept is that of naqla, which, in terms of transmission and translation, its generic transcription can be rendered as ‘transfer’. The naqla is a notion that pertains to rupture in linguistic, logical or temporal continuities, and hints at confusing contiguities in the use of words, in demonstrations and in historical processes. This notion of naqla is at the centre of the preoccupations of al-Fārābī in his various domains of thinking. First of all, in terms of his linguistic reflection that consists of thinking about the transfer (naqla) of a given word in between its notions of first and second imposition. Then, in logic, the integration of the modes of reasoning of the theologians in Aristotelian syllogism, which passes by way of a mechanism of logical transference in the case of induction and the shift in paradigm. Finally, the Fārābian conception of intellectual history, as a transmission of knowledge, cannot be grasped in its fullest scope except through an understanding, not only of the common notion of naqla, but rather in terms of its particular Fārābian sense; namely as a concept that entirely renews the question of transmission and translation.

Résumé

Cet article entend présenter pour la première fois un concept central d’al-Fārābī, clé de voûte à la compréhension de sa pensée tant logique que politique. Ce concept est celui de naqla, qui renvoie à la translation, la transmission, la traduction, et dont la transcription générique peut être le transfert. La naqla, c’est le concept de la rupture dans la continuité linguistique, logique ou temporelle et des contiguïtés confondantes dans les mots, les démonstrations et les processus historiques. Ce concept de naqla est au centre des préoccupations d’al-Fārābī dans tous les domaines de sa pensée. Tout d’abord, sa réflexion linguistique consiste principalement en une réflexion sur le transfert (naqla) pour un mot donné entre ses notions de première et de seconde imposition. Ensuite, au niveau conceptuel, tout égarement de la pensée est compris dans dix formes de naqla. Encore, en logique, l’intégration des raisonnements des théologiens à la syllogistique aristotélicienne passe par un mécanisme de transfert logique dans les cas de l’induction et du paradigme. Enfin, la conception farabienne de l’histoire intellectuelle comme transmission du savoir ne peut être comprise dans toute son ampleur qu’à partir d’une compréhension non pas seulement commune mais rigoureuse et singulière du concept farabien de naqla, concept qui renouvelle entièrement le problème de la transmission et de la traduction.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2010

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References

1 Une des raisons du camouflage du concept de transfert vient peut-être de la réduction par l’édition de Mājid Fakhry du terme de naqla à un synonyme d’“inférence du visible au caché” en nommant le chapitre concernant l’inférence “faṣl fī al-naqla” alors qu’il s’agit très explicitement d’une espèce de transfert (cf. al-Fārābī, al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī, éd. Rafiq al-‘Ajam [Beyrouth, 1986], t. II, p. 45, texte discuté infra, p. 152). R. al-‘Ajam, à sa suite, suggère la même réduction de la naqla à l’inférence dans son commentaire en postface du Livre de la dialectique, dans al-Fārābī, al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī (Beyrouth, 1986), t. III, p. 212.

2 Principalement: Livre de l’expression, commentaire au De Interpretatione. Al-Fārābī, Kitāb al-‘Ibāra, dans al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī, éd. R. al-‘Ajam (Beyrouth, 1986), t. I.

3 Principalement: Livre des lieux spécieux. Al-Fārābī, Kitāb al-Amkinat al-mughliṭa, dans al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī, t. II.

4 Principalement: Livre du syllogisme. Al-Fārābī, Kitāb al-Qiyās, dans al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī, t. II, et Précis du syllogisme à la manière des théologiens: Kitāb al-Qiyās al-ṣaghīr ‘alā ṭarīqat al-mutakallimīn, dans al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī, t. II.

5 Principalement: Livre aux lettres, Kitāb al-Ḥurūf, éd. Muhsin Mahdi (Beyrouth, 1990). Nos traductions prennent pour texte de référence une seconde édition plus complète du texte arabe que M. Mahdi avait préparée, qu’il n’a pas eu le temps de publier mais qu’il a mise en circulation; le découpage des paragraphes y reste similaire. Nous avons également eu accès, par M. Ali Benmakhlouf que nous remercions, à la remarquable traduction inédite du Kitāb al-Ḥurūf par Stéphane Diebler.

6 Voir par exemple, le Livre des catégories. Al-Fārābī, Kitāb al-Maqūlāt, dans al-Manṭiq ‘inda al-Fārābī, t. I, pp. 114–15.

7 La plus complète est celle de Jacques Langhade, Du Coran à la philosophie, “La langue arabe et la formation du vocabulaire philosophique de Farabi” (Damas, 1994). On y trouve en particulier une paraphrase ainsi qu’une traduction de nombreux passages du K. al-Ḥurūf, II.

8 Notons par exemple l’étude de Rémi Brague, “Eorum praeclara ingenia, conscience de la nouveauté et prétention à la continuité chez al-Fārābī et Maïmonide”, Bulletin d’études orientales, 48 (1996): 90–102. L’auteur pense constater une contradiction, chez al-Fārābī, entre une prétention à la continuité philosophique des Grecs jusqu’à lui-même et la perception d’une “rupture”; il tente de la résoudre, de manière straussienne, en se référant au contexte politique. Sa caractérisation de la continuité, p. 92, est la suivante: “Quoi qu’il en soit, l’éternité de la vérité philosophique est reflétée dans une vision de l’histoire selon laquelle la philosophie est transportée sans interruption ni déperdition depuis les Grecs jusqu’à l’époque présente. C’est pourquoi al-Fārābī [dans le texte d’Ibn Abī Uṣaybi‘a] parle d’un “transport” (racine NQL) de la philosophie. En bon aristotélicien, il sait que le mouvement local n’affecte pas ce qui est mu”. C’est dans cette cinématique d’une transmission philosophique “sans interruption ni déperdition” que nous paraît résider, comme on le verra, l’erreur.

9 Cf. Marwan Rashed, “Al-Fārābī’s lost treatise On changing Beings and the possibility of a demonstration of the eternity of the world”, Arabic Sciences and Philosophy, 18 (2008): 19–58. Voir en particulier pp. 50–3.

10 Aristotelis De Physico Auditu cum Averrois Cordubensis variis in eosdem commentariis, p. 360E, cité et analysé par Rashed, “Al-Fārābī’s lost treatise On changing Beings”, p. 50.

11 Aristote, Physique, trad. P. Pellegrin (Paris, 2000), VIII 10, 267b 9–11.

12 Ibid., 267b 15–16.

13 Arisṭūṭālīs, al-Ṭabīʿa, 2 vols., éd. ‘Abd al-Raḥmān Badawī (Le Caire, 1964/5), II, 933.

14 La racine sh-f-’ sert en effet à désigner la médiation, l’intercession et l’entremise. Pour le passage canonique Phys. V 3, 227a 6, Isḥāq rendait to echomenon par al-shāfi’ (cf. al-Tabī‘a, II, 544).

15 K. al-Ḥurūf, § 65.

16 Al-Fārābī, Risāla fī al-‘aql, éd. Maurice Bouyges, S. J. (Beyrouth, 1983), p. 31 (cf. Épître sur l’intellect, trad. Dyala Hamzah [Paris, 2001], p. 88).

17 C’est ce que manifestent ses études comparées de la logique et de la grammaire. De plus, cette méthode marque la structure même du Rappel de la voie à suivre pour parvenir au bonheur, éd. Dominique Mallet, dans Bulletin d’études orientales, nº 39–40, (Damas, 1987–88), ainsi que de la Classification des sciences, al-Fārābī, Iḥṣā’ al-‘ulūm, éd. ‘Uthmān Amīn (Le Caire, 1983), ou se retrouve encore dans le K. al-Ḥurūf qui part continuellement de l’usage courant des mots pour accéder à leur usage philosophique.

18 Nous pensons que le parallélisme entre les deux parties est plus intime qu’il n’y paraît au premier abord. Ainsi, dans la partie II, il commence par distinguer la métaphore et le transfert grâce au critère désignation par essence / par accident. Et c’est cette même distinction qui est reprise au début de la partie III.

19 Cf. Ahmad Hasnawi, “Réflexions sur la terminologie logique de Maïmonide et son contexte farabien: le Guide des perplexes et le Traité de logique”, dans Tony Lévy et Roshdi Rashed (éds.), Maïmonide philosophe et savant (1138–1204) (Paris, 2004), pp. 39–78, pp. 62–8.

20 Nous avons commencé par traduire littéralement afin de saisir le sens propre, de première imposition, avant de donner entre crochets l’équivalent usuel des termes tel que le français les a hérités du grec.

21 K. al-‘Ibāra, 49B–51A, p. 140. Les citations suivantes sont extraites des pages 140 à 144.

22 Pour la formation du langage, voir K. al-Ḥurūf, § 127; pour sa finitude, voir K. al-‘Ibāra, p. 141, l. 7–8; pour les impératifs pédagogiques, voir K. al-Ḥurūf, §§ 185–9. Ainsi, les questions initiées par “quel” (ayy), portant donc sur la différence, ont besoin de nommer la chose d’abord au moyen du genre.

23 K. al-Ḥurūf, §§ 62–66. Notons que l’arabe s’inspire de la double imposition déjà existante en grec pour οὐσíα (biens, richesses d’une part, et substance d’autre part).

24 Par exemple, “élite (khāṣṣa)” désigne toute corporation qui possède la maîtrise d’un art au sens large, mais dans l’absolu ne désigne que celle des philosophes. K. al-Ḥurūf, § 113.

25 Pour une étude détaillée de la dérivation des noms, voir le K. al-Ḥurūf, §§ 21–24.

26 Al-Fārābī a une idée très claire de l’homonymie, puisqu’il en distingue dans ce même texte six espèces, six degrés entre le lien naturel le plus faible et celui qui fait d’un des deux homonymes presque un genre.

27 Cf. Elias (David), In Categorias 140.13–19, éd. Adolf Busse (Berlin, 1900).

28 Tel est le langage poétique qui désigne l’homme courageux par le nom de “lion”. Mais l’homme courageux est qualifié de lion par accident et non par essence. Le terme utilisé pour parler de la métaphore: isti‘āra signifie d’ailleurs un simple emprunt.

29 K. al-Amkina al-mughliṭa, p. 133, l. 9–12.

30 Aristote, Poétique 21, 1457b 6–7.

31 Aristote, Poétique 21, 1457b 25–26.

32 Cf. André Laks, “Substitution et connaissance. Sur la théorie aristotélicienne de la métaphore”, Histoire, doxographie, vérité. Études sur Aristote, Théophraste et la philosophie présocratique (Leuven, 2007), pp. 57–81, p. 66, n. 40.

33 Aristote, Réfutations sophistiques, I, 1, 165a 10–12. On peut se demander pourquoi al-Fārābī accorde une telle importance à cette recherche sur les termes transférés, là où Aristote ne voyait que résidu insignifiant de l’étude de la métaphore. C’est toute la différence de leur rapport à la langue qui est ici en jeu. Si la langue est pour Aristote un dire de l’être, al-Fārābī insiste sur le fait que les mots n’imitent pas spontanément les notions mais nécessite l’intervention arbitraire, au sens propre, d’un nomothète. Les langues sont alors autant de codes transmettant toutes le message de l’Intellect.

34 K. al-Ḥurūf, I, §§ 56–103, et en particulier les §§ 62–72 pour la notion de substance.

35 Ibid., § 68.

36 Ibid.

37 Ibid., § 69.

38 K. al-Ḥurūf, § 204 et supra, I.2.

39 K. al-‘Ibāra, p. 141, l.6.

40 K. al-Ḥurūf, § 119. Cette finitude de la langue est même calculable pour les lexicographes arabes depuis al-Khalīl ibn Aḥmad (718–786). On sait que dans la préface de son Kitāb al-‘Ayn, le grand linguiste recense de manière combinatoire les potentialités lexicales de la langue arabe à partir de ses différentes racines possibles.

41 Il prend alors les exemples de “matière” et “élément”.

42 Cette propriété permet de distinguer la naqla d’un pseudo-transfert, purement arbitraire, qui consisterait à nommer la notion nouvelle d’un nom pris au hasard simplement pour l’identifier.

K. al-Ḥurūf, § 136: “[…] on transfert [vers les universaux] certains termes du lexique qui étaient employés auparavant pour désigner d’autres notions que celles-là, soit par convention sans raison particulière, soit pour une raison donnée.”

43 K. al-Ḥurūf, § 120.

44 Ibid.

45 K. al-‘Ibāra, p. 144, l. 3–6.

46 La présence de cette naqla linguistique dans l’exposé, mieux connu, sur la transmission du savoir à la fin du K. al-Ḥurūf, II est significative de l’inscription historique de la naqla. Les §§ 157–158 sont exclusivement consacrés à ce qu’il nomme: “les termes transférés des sens courants aux notions philosophiques (al-alfāẓu al-manqūlatu ‘an al-ma‘ānī al-‘āmiyyati ilā al-ma‘ānī al-falsafiyya).”

47 K. al-Ḥurūf, II, § 116.

48 K. al-Ḥurūf, §§ 56–57, entre nombreux.

49 Al-Fārābī ne sépare aucunement les deux. Cf. K. al-Ḥurūf, § 108: “On ne cherche par la religion que l’enseignement au vulgaire des choses théoriques et pratiques qui ont été découvertes en philosophie”.

50 K. al-Ḥurūf, § 137.

51 Ibid., §§ 136 et 154.

52 Préoccupations pour lesquelles on peut même lui prêter une certaine indifférence.

53 Iḥṣā’ al-‘ulūm, III, p. 108. Cf. Roshdi Rashed, “Mathématiques et philosophie chez Avicenne”, dans Jean Jolivet et Roshdi Rashed (éds.), Études sur Avicenne (Paris, 1984), pp. 29–39, pp. 34–5.

54 Kitāb al-Alfāẓ al-musta‘mala fī al-manṭiq, éd. M. Mahdi (Beyrouth, 1968), désormais K. al-Alfāẓ.

55 K. al-Alfāẓ,§ 3.

56 Voir par exemple la distinction des deux impositions d’un terme central en rhétorique: al-qinā‘a. “Le mot qinā‘a (contentement) a été transféré jusqu’à ce sens [celui de persuasion] du fait qu’on s’y contente de quelque chose qui est comme une partie et se tient dans un entre-deux, bien qu’il soit possible d’en obtenir davantage.” Livre sur la rhétorique, trad. mod. J. Langhade (Beyrouth, 1971), p. 33. Notons la profonde cohérence méthodologique d’al-Fārābī que manifeste l’explication de son passage du sens courant au sens technique dans un traité qui porte sur la rhétorique, c’est-à-dire sur le raisonnement selon les opinions courantes, de prime abord.

57 Type d’homonymie auquel al-Fārābī ne croit pas comme le montre la récension des six homonymies du K. al-‘Ibāra, p. 142.

58 K. al-Ḥurūf, § 124: “Grâce à l’effort pour chercher à ordonner et à faire ressembler les mots avec leur notion, on arrive à ce qu’un mot unique soit posé pour désigner des notions aux essences différentes à condition qu’elles soient ressemblantes en quelque chose d’autre par essence. Car c’est quand <la ressemblance> est vraiment distante de <l’essence> qu’apparaissent les mots ambigus.”

59 “Al-naqla ilā mā yumkinu an yubdala makān al-shay’i” (K. al-Amkina al-mughliṭa, p. 160 [133 A], l. 10).

60 Ibid., p. 133, l. 2–4.

61 Ibid., p. 133, l. 5–7.

62 Ibid., 115A, p. 131.

63 Al-Fārābī envisage cependant d’autres sources d’erreur que simplement logiques: “La condition de l’homme, des facultés de son esprit, ses comportements et capacités lefont osciller du vrai vers l’erreur, comme son affection ou sa haine pour une certaine opinion.”

64 Voir infra, p. 148.

65 Toutes les citations qui suivent sont tirées de cette même page: 133A, p. 160.

66 L’importance théologique des noms de Dieu est acceptée par al-Fārābī comme le montre les Idées des habitants de la cité vertueuse, trad. Jaussen, Karam et Chlala (Le Caire, 1949), chapitre IX, p. 32. Arā’ ahl al-madīna al-fāḍila (Le Caire, 1994), p. 23.

67 Iḥṣā’ al-‘ulūm, p. 78.

68 Épître sur l’intellect, p. 87; Risāla fī al-‘aql, p. 30.

69 K. al-Amkina al-mughliṭa, p. 160. Aristote, Physique, 213b 22–27.

70 K. al-Ḥurūf, § 141.

71 La religion est définie par al-Fārābī comme ce qui “enseigne les choses théoriques par le simulacre (takhyīli) et la persuasion (iqnā‘i)”. K. al-Ḥurūf, § 111.

72 Rashed, “Al-Fārābī’s lost treatise On changing Beings”, p. 34, conteste l’authenticité de ce passage entre crochets: “The example of time, which I have put between brackets, must be interpolated. Otherwise, we would have nothing but a statement of Philoponus’ and al-Kindī’s creational creed, so that the whole project of al-Fārābī would become unintelligible.”

73 Kitāb al-Milla, éd. M. Mahdi (Beyrouth, 2001), § 26; Livre sur la religion, trad. S. Diebler (Paris, 2004), p. 89. Diebler traduit par “êtres spirituels”.

74 Ibid., § 27; La politique de la cité, Kitāb al-Siyāsa al-madaniyya, éd. F. M. Najjār (Beyrouth, 1993), § 49, p. 79, l.3.

75 Par exemple, K. al-Ḥurūf, § 112. Cet être du transfert vers un simulacre est appelé plus traditionnellement “prophète” ou proprement “instituteur de la religion (wāḍi‘ al-milla)”.

76 K. al-Qiyās et K. al-Qiyās al-ṣaghīr.

77 Même si al-Fārābī ne baptise pas à proprement parler l’induction du nom de “transfert”, on peut cependant affirmer que l’induction incomplète en constitue une figure importante non seulement parce qu’elle en possède les propriétés, mais aussi parce que son application théologique qu’est l’inférence du manifeste au caché est nommément désignée comme une espèce particulière de naqla. Son intégration au transfert devient évidente quand on remarque que le lexique de la naqla est constamment présent pour le paradigme, dont la parenté étroite avec l’induction incomplète – il n’en diffère que selon un critère quantitatif – est évidente.

78 K. al-Qiyās al-ṣaghīr, chap. 8, p. 91: “L’induction est soit complète soit incomplète, elle est complète lorsqu’on manifeste l’ensemble des choses qui sont contenues sous le sujet de la prémisse que nous voulons prouver par induction; elle est incomplète lorsque est manifestée la plupart des sortes de ces choses.”

79 Elle est définie en Topiques, I, 12, 105a 13–4: “Quant à l’induction (epagōgè), elle consiste à partir des cas individuels pour accéder aux énoncés universels” (trad. J. Brunschwig, p. 18). Voir aussi, pour plus de détails, Premiers Analytiques II 23 et Seconds Analytiques II 19, 100b 3–5.

80 Nous étudions ici le chapitre 8 du K. al-Qiyās al-ṣaghīr.

81 Al-Fārābī, Deux ouvrages inédits sur la rhétorique, préface de J. Langhade, p. 23.

82 Livre sur la rhétorique, p. 62.

83 K. al-Qiyās, chap. 17, p. 36.

84 K. al-Ḥurūf, § 219: le questionnement dialectique est celui qui suppose une ignorance; § 222: après l’achèvement aristotélicien de la science, on ne recourt à la dialectique que comme exercice ou dans les cas d’oubli.

85 K. al-Ḥurūf, § 143: “L’enseignement d’élite se fait au moyen des seules voies démonstratives” par distinction de la vulgarisation: (ta‘līman mushtarakan li-al-jamī‘).

86 On peut dire que ce changement d’objectif est une des marques du passage de la philosophie grecque antique à la falsafa arabe médiévale.

87 K. al-Ḥurūf § 109: “[L’apologétique] cherche à vérifier l’illustration de la chose dont on a supposé ou fait miroiter la vérité”; § 112: “Le juriste utilise dans ses considérations pratiques particulières comme principes des prémisses prises et héritées d’un instituteur de religion.”

88 C’est en effet le rôle de l’enseignement comme l’illustre l’exemple du § 221 du K. al-Ḥurūf où l’étudiant demande non pas le lieu de la vérité mais sa démonstration.

89 Il est donc légitime de supposer comme nous l’avons fait qu’il y a d’autres procédures de transfert logique.

90 Position cosmologique dont témoigne la rédaction d’un traité maintenant perdu Sur les êtres changeants. Cf. Rashed, “Al-Fārābī’s lost treatise On changing beings”, p. 31.

91 Idées des habitants de la cité vertueuse, p. 32, Arā’ ahl al-madīna al-fāḍila, p. 23.

92 Idées des habitants de la cité vertueuse, p. 32 (trad. mod.), Arā’ ahl al-madīna al-fāḍila, p. 24. Nous corrigeons bien entendu avec Jaussen, Karam et Chlala les points diacritiques dans le texte original de “thuqilat” en “nuqilat”.

93 Cf. Michel Allard, Le problème des attributs divins dans la doctrine d’al-Ash‘arī et de ses premiers disciples (Beyrouth, 1965), introduction.

94 “De pareils noms, quand nous les transférons et appliquons au Premier, nous entendons exprimer par eux la relation qu’Il entretient avec les autres êtres grâce à l’être qui a découlé de Lui.”

95 K. al-‘Ibāra, p. 142. Nous avons vu qu’al-Fārābī y distingue six espèces d’homonymie, dont la première, homonymie naturelle, est celle dans laquelle les noms sont en accord, parce que les notions qu’ils désignent s’accordent dans une partie de leur essence (ex. ‘ayn, source d’eau, quand cela désigne la fontaine, ou source de la vision ou des larmes quand c’est l’œil).

96 Notons en marge que si la question de la sélection des termes valides pour décrire Dieu tourne habituellement autour de la distinction entre attributs de l’acte (participes présents) et attributs de la substance (substantifs), al-Fārābī redéfinit cette opposition en celle entre les noms “qui désignent ce qui appartient à l’être, pris en soi” et ceux “qui désignent ce qui appartient à l’être relativement à un autre extérieur à lui”. Il y a toutes les raisons de penser que les termes concernés sont les mêmes, mais la distinction entre substance et action devient une distinction entre substance et relation. On assiste donc à un déplacement vers la catégorie aristotélicienne de la relation, celle qui pose justement problème à al-Fārābī, comme l’amplitude de son examen dans le K. al-Ḥurūf le manifeste.

97 Cela nous intéresse particulièrement, puisque cela manifeste que tout examen logique chez al-Fārābī n’est pas abandonné à son abstraction mais a pour fin d’être réinvesti dans la science pratique et que plus particulièrement, le concept de transfert a un destin politique. Cf. al-Fārābī, Rappel de la voie à suivre pour parvenir au bonheur, éd. Dominique Mallet, Bulletin d’études orientales, 39–40 (1987–88): 113–40, p. 122, § 3.

98 K. al-‘Ibāra, p. 142. C’est l’homonymie “dans un rapport différent à une même chose (nisba mukhtalifa ilā shay’in wāḥid)”. Al-Fārābī prend déjà l’exemple du terme “vineux (khamrī)”.

99 K. al-Ḥurūf, § 143.

100 K. al-Ḥurūf, § 145.

101 Les exemples d’étude conceptuelle à partir du sens courant sont nombreux. Voir en particulier K. al-Ḥurūf, §§ 56–103; Livre sur la rhétorique, p. 33; Iḥṣā’ al-‘ulūm, p. 78.

102 K. al-‘Ibāra, p. 144, l. 3–6.

103 K. al-Amkina al-mughliṭa, p. 160.

104 K. al-Qiyās al-ṣaghīr, p. 93, l. 1–3.

105 Ibid., l. 3–6.

106 Hegel, Principes de la philosophie du droit (Paris, 1998), §§ 344 à 358.

107 La définition nous est donnée par le K. al-Siyāsa al-madaniyya, p. 70, l. 5–7: “Toute nation se distingue par deux choses naturelles: par un comportement et par un caractère naturels; et une troisième instituée et qui constitue un accès aux choses naturelles, c’est le langage, c’est-à-dire la langue grâce à laquelle l’expression est possible.”

108 Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 347.

109 D. Urvoy, Les penseurs libres dans l’Islam classique (Paris, 1996), p. 64; A. Benmakhlouf, Philosopher à Bagdad au Xe siècle (Paris, 2007), p. 23; H. Hanafī, Du transfert à l’innovation [en arabe] (Le Caire, 2000).

110 K. al-Ḥurūf, §§ 56; 62–66; 79–86; 94–96.

111 De l’obtention du bonheur, trad. O. Sedeyn et N. Lévy (Paris, 2005), § 53.

112 Bien que les Arabes et les Chaldéens ne constituent pas au sens farabien la même nation puisque leur langue diverge.

113 K. al-Ḥurūf, § 149.

114 Ce mouvement de reproduction des intelligibles par l’imagination est intégré dans son mécanisme technique au transfert notionnel (“transfert vers un simulacre”), mais au niveau historique, al-Fārābī lui donne le nom d’“imitation (muḥākāt)”. C’est pourquoi nous ne l’intégrons pas à notre travail de détermination du concept de naqla. Cité vertueuse, XXIV, p. 72; Arā’…, p. 76.

115 Il faut donc absolument corriger l’affirmation de J. Langhade: “Le donné culturel était considéré par Fārābī comme un objet susceptible de donner lieu à un échange.” dans Langhade, Du Coran à la philosophie, III c. ‘La langue et l’enseignement’. Il faut d’ailleurs bien veiller à ne pas confondre le transfert avec ses concepts proches (flux, influence, échange).

116 Telle est l’hypothèse de Joep Lameer qui analyse les textes défendant la thèse de la religion productrice d’images pour montrer que ceux du K. al-Ḥurūf, II contiennent les propriétés énoncées dans ses autres ouvrages politiques. Cf. Al-Fārābī and Aristotelician Syllogistics (Leiden, 1994), IX, 2–5. D’autres analyses, comme la comparaison des différents textes sur la catégorie de la relation, nous font abonder dans le sens de l’auteur.

117 K. al-Ḥurūf, § 116: “on a besoin de faire connaître à un autre que soi ce qui est dans sa conscience ou ce qui est visé par sa conscience, pour désigner ce qui est dans sa conscience et ce qu’on veut de celui à qui on cherche à se faire comprendre.”

118 C’est al-Fārābī lui-même qui distingue une transmission réelle et une pseudo- transmission comme nous montrons plus bas. Rappelons que cette distinction a déjà été faite au niveau du transfert linguistique. Supra, note 42.

119 K. al-Ḥurūf, § 83.

120 Ainsi, le traducteur commence par comprendre que estin est le terme grec caractérisé comme paradigme premier servant à exprimer la situation et à lier sujet et prédicat en dehors de toute détermination temporelle. Une fois ces propriétés universelles de la notion d’être dégagées, le travail de traduction se fera par une réflexion sur la langue arabe seule.

121 K. al-Ḥurūf, § 154.

122 Ibid., § 155.

123 K. al-Qiyās al-ṣaghīr, pp. 68–9.

124 Al-Fārābī développe une conception précise et originale de la bêtise (ḥumq) et de la stupidité (ghabā’) à laquelle il faudra consacrer une étude.

125 La position d’al-Fārābī est cependant plus nuancée dans le K. al-Ḥurūf, § 158. Quand la langue d’accueil n’est pas disposée à certaines nuances conceptuelles, on peut transcrire le mot d’origine.

126 Respectivement le livre I lors du recensement des concepts fondamentaux de la philosophie et le livre II.

127 Cité vertueuse, XXXII, les dispositions psychiques innées dépendent des acquis des ancêtres.

128 Il ne faut pas comprendre ici l’expression dans une rétrospective historique erronée consistant à dire que les arabes n’auraient fait que servir de courroie de transmission de la pensée grecque vers l’Europe latine. Il s’agit là d’un ethnocentrisme négligé. Al-Fārābī n’est pas le passeur vers quelque chose qui n’existe pas encore, mais le passeur de la pensée depuis la civilisation grecque passée vers la civilisation arabe présente.

129 Grand traité de la musique, préface dans Baron Rodolphe d’Erlanger, La musique arabe, I, p. 1. Nous n’avons malheureusement pas eu accès au texte original.

130 K. al-Ḥurūf, § 157.

131 Sur l’idéal d’intellection pure, voir par exemple Cité vertueuse, XXIII, p. 68; Arā’ ahl al-madīna al-fāḍila, p. 69.

132 Épître sur l’intellect, pp. 95–6; Risāla fī al-‘aql, pp. 35–6.